Les
chants corses, leurs chanteurs, leurs groupes, leur CV, leur fan-club... |
Tino
oblige, Antoine est corse ( le saviez-vous ? ) ... |
Au
service du chant corse, qu'il soit polyphonique ou " monodique ",
se sont distingués de nombreux artistes de qualité qui changèrent
ces dernières décennies l'image du chanteur Corse, donnée
dans les années 30 par Tino Rossi. Si l'Ajaccien possédait
une très belle voix, sa production était résolument
commerciale, destinée à un public friand d'exotisme, ce
à quoi ses roucoulades en langue française sur fond de mandolines
répondaient parfaitement. A Propriano, à partir des années
60, Francis Leandri commença à se faire remarquer dans un
registre proche mais plus corse dans ses thèmes (Sagone, Propriano,
Le dernier des bandits,...). A Paris, des corses de la diaspora comme
Juliette Greco ou Antoine (Muracciole) et ses élucubrations, se
firent sans ambiguïté " chanteurs français ".
Les
frères Vincenti, Maryse Nicolai, Regina et Bruno et
d'autres prennent le dessus ! |
C'est
pendant ces mêmes années 60 que le chant en langue corse
traditionnel recommença à trouver un certain écho,
avec des chanteurs - compositeurs - interprètes comme les frères
Vincenti (Chi fa?, Casa antica....), Francescu et Dumenicu
Agostini de leur vrai nom, ou grâce aux premiers groupes polyphoniques
comme la Sirinata Aiaccina ou la Manella. A Pruprià encore, Maria
Leandri fit les beaux jours du Café de la Marine pendant des années,
interprétant un large répertoire traditionnel monodique,
aujourd'hui sur CD (Ciucciarella, Manetta...). Plus largement,
ces années sont marquées dans la partie " monodique
" par Regina & Bruno (Solenzara ), Maryse Nicolaï,
Mighela Cesari, Mighele Raffaelli, Jacky Micaelli, ...
Antoine
Ciosi mérite d'être cité ici juste avant que
Canta U Populu Corsu fasse son entrée... |
Puis
vint le virage politique des années 70. Cela commença avec
Antoine Ciosi, qui, alternant chants en corse et en français, tradition
et création, dans les désormais classiques La Sposata,
Quandu sero per Corti, Peut-être qu'un jour, Le
pinzutu, Chi fa?, Kallisté, Circinellu,...,
fut un des premiers à inclure un discours politique dans ses disques,
en 1973/1974 et même à inclure une Paghjella et un "
Attacarsi in Poesia ", alors que ce genre de chants traditionnels
étaient jugés démodés. Parallèlement,
naquit le groupe Canta U Populu Corsu, symbole du réveil identitaire,
fondé en 1973 par Jean-Paul Poletti et des jeunes venus de toute
la Corse. Avec un père Venacais, une mère de la Rocca (de
Santa Maria Ficaniedda), plusieurs années vécues à
Bastia (Poletti a été formé à l'école
lyrique Bastiaise), d'autres à Aiacciu, il semble rétrospectivement
presque naturel que Poletti ait constitué le trait d'union entre
les autres membres de Canta, tous originaires de vallées ou de
pieve différentes : en 1973, accompagné du Poète
Saveriu Valentini, et de Minicale (Alain Bitton-Andreotti, d'Evisa), Poletti
rend visite à Petru Guelfucci (de Sermanu), qui intègre
alors le groupe, ensuite rejoint par Michele Paoli (de Zicavu), Natale
Luciani (de Tavera), Francescu Buteau (A Soccia), Filippu Rocchi (Rusiu),
Ghjuvanteramu Rocchi (Loretu di Casinca), Francescu Bianconi (Zicavu),
la famille Bernardini (Tagliu Isulaccia) dont nous reparlerons plus loin,
etc
L'objet même de la fondation de Canta était militant: lutter
par la création musicale pour préserver les valeurs de la
Corse et le patrimoine culturel de ses pieve (Rusiu, Haut-Taravu, Castagniccia,
etc...). C'est ainsi que virent le jour plus d'une demi-douzaine d'albums,
dans lesquels alternent création (" A fiaccula di a vita
", " Vergogna a tè ", etc
) et diffusion
de chants traditionnels (" Lamentu di u prigiuneru ",
" Lisa bedda ", " Alcudina ", etc
).
Puis, l'ensemble protéiforme (près de 50 personnes seraient
" passées " à Canta) se désagrège
au milieu des années 80, peu de temps après le départ
de Poletti. Peut-être pour des raisons de divergences politiques,
à l'image du FLNC dont certains chanteurs du groupe, comme Natale
Luciani, créateur des superbes Missaghju et Citadella
da fà, faisaient partie. Canta s'est depuis recomposé,
voici quelques années, augmenté par l'arrivée de
jeunes, mais sans Poletti ni Guelfucci, lancés dans d'autres projets.
A la fin de l'année dernière paraît un nouvel album
de Canta, " Rinvivisce ", qui recèle de nombreuses
perles, comme " D'un volu ", " Ti vurria dì",
" Rinvivì ", " Chjaruscuru "
, etc
.
Poletti
en solo puis entouré de choeurs... |
Après
avoir quitté Canta en 1981, Poletti a contribué à
revitaliser le chant polyphonique sacré de Sartène. "
La plus Corse des villes Corses " selon Mérimée, est
en outre riche d'une tradition du chant sacré qui remonte au 13ème
siècle, avec l'installation du couvent Saint Damien. Aidé
par les Franciscains, et notamment le Père Ulrich, arrivé
en Corse il y a cinquante ans, Poletti fit renaître des compositions
parfois tombées dans l'oubli, et désormais chantées
avec talent par le " Choeur d'hommes de Sartène " que
Poletti a crée en 1995 et qu'il dirige, tout comme l'école
de chant de Sartène qu'il a crée en 1987. Poletti et le
Chur d'hommes de Sartène ont trois albums de qualité
à leur actif, au sein desquels émerge une pépite
d'or pur, Fiori di Memoria, qui regroupe plusieurs versions inédites
de chants Zicavais largement diffusés, comme " Lisa Bedda
" et " Alcudina ", mais aussi de chants du Sartenais
moins connus, comme " U lamentu di u banditu Tramoni ".
C'est là qu'intervient l'héritage séculaire profane
émanant des frères Tramoni, piliers du chur sartenais.
De
son côté, Guelfucci, dont le père et les oncles chantaient
la messe en polyphonie à Sermanu (non loin de Venacu) dans les
années 50, a créé en 1990 le groupe " Voce di
Corsica ", un des meilleurs groupes de polyphonie. En " solo
", son album Corsica, écrit avec Christophe MacDaniel (ex-Canta),
a par ailleurs servi de base à la création d'un ballet par
la danseuse corse Marie-Claude Pietragalla.
I
Muvrini le groupe corse le plus connu dans le monde... |
Arrivent
ensuite dans la chronologie ceux qui devaient avoir une incroyable renommée
internationale, les Muvrini, créés en 1978, avec pour base
les deux frères Bernardini originaires du village de Tagliu Isulaccia,
en Castagniccia, et dont le père, Ghjuliu, poète et paghjellaiu,
leur transmit la tradition polyphonique à une époque où
elle était dépréciée, comme l'était
notre identité culturelle avant le " riacquistu ", la
" ré-appropriation ". En alternant chansons de variété
en langue corse et polyphonies, ils ont réussi à promouvoir
la culture corse à l'échelle mondiale, particulièrement
grâce au magnifique album Curagiu. Un duo avec Sting est venu couronner
ce succès, mettant sur un pied d'égalité la langue
corse et la langue anglaise, la plus influente au monde. Nul n'aurait
imaginé telle reconnaissance vingt ans auparavant. A cette époque,
les Bernardini étaient souvent interdits de concert, parfois même
délogés à coup de matraques et lacrymogènes,
car considérés comme des agitateurs.
Parmi
les autres groupes les plus connus, A Filetta, ensemble polyphonique créé
en 1978. Son nom, peut symboliser l'attachement des Corses à leur
île, comme le rappelle le proverbe " un ti scurda di a filetta
". Mêlant chant profane et sacré, tradition et innovation,
les balanins reçoivent en 1994 le Grand Prix International de l'Académie
Charles Cros pour " Una tarra chi hè ". On n'écoute
pas sans frissonner Sumiglia, ou encore leur fameuse Paghjella
di l'impiccati. L'album Intantu, sorte de best-of de leurs 25 ans
de carrière, paru le printemps dernier, est idéal pour entrer
dans l'univers de " La Fougère ".
Toujours
dans la chronologie, on situe la création des Chjami Aghjalesi
vers les années 1978-1980. Les autres balanins célèbres
poursuivent leur voie depuis plus de vingt ans, à travers de superbes
chants aux accents révolutionnaires (Catena, Populu Vivu,
U Partigianu...) ou à la guitare hispanisante si entraînante
(E po l'ore...). L'album Populu vivu est probablement un de leurs
meilleurs.
Cela
manquait un peu de femmes... Les voilà ! |
En
1989 furent créés Les Nouvelles Polyphonies Corses, alliant
la tradition du chant et la modernité de l'instrumentation, aux
frontières de l'expérimentation. Mené par trois femmes,
Patrizia Gattaceca, Lydia et Patrizia Poli, le groupe atteint la reconnaissance
mondiale grâce à sa participation à la cérémonie
d'ouverture des JO d'Albertville en 1994. Produites par John Cale, fondateur
du Velvet Underground, les chanteuses Corses ont collaboré avec
Patti Smith, Lavilliers ou Manu Dibango. Le trio féminin, rebaptisé
Soledonna, accorde aujourd'hui une moindre place à l'instrumentation.
L'autre groupe féminin Corse ayant atteint une certaine renommée
a été l'éphémère Donnisulana, crée
en 1989 par Jackie Micaelli et réuni pour seulement quelques années.».
I
Surghjenti, Diana di l'Alba, Cinqui so et ça n'est
pas fini ! |
Parmi
les autres groupes polyphoniques particulièrement connus, on trouve
plusieurs défenseurs du parler " sudiste ", variante
méridionale de la langue corse qui va de la vallée de la
Gravone à Porto-Vecchio et Figari en passant par le Haut-Taravu,
le Sartenais et l'Alta-Rocca. Parmi eux, I Surghjenti, groupe crée
en 1981 par des chanteurs de la région de Porti Vechju. Séparés
voilà une dizaine d'années, puis reformés avec des
jeunes, les Surghjenti ont au total composé sept albums, dont particulièrement
" Da Petra e da ventu " et leur indispensable best-of
" Ramenti " (avec des morceaux comme " A me patria
", " Pardona mi ", " L'Imbasciata ",
etc
). De formation plus récente, les Ajacciens de Cinqui
Sò ont livré trois albums, dont " Tarraniu ",
avec plusieurs poèmes de Rinatu Coti, et " Essenza
", qui date de ce printemps.
Donnant moins dans la polyphonie et plus dans les ballades voire les instrumentaux,
les troubadours de Diana di l'Alba, avec leur émouvant Lingua Corsa
ou leur reprise du Che Guevara Latino-Americain, ou encore les baladins
de Caramusa (" cornemuse "), un groupe mené par les frères
Andreani, d'Ulmetu, et qui effectue un minutieux travail de sauvegarde
de compositions instrumentales traditionnelles. Notons aussi Jacques Culioli
(petit-fils du célèbre chanteur surnommé le Barbutu
di Chera, non loin de Figari), Eric Mattei, mais aussi Charles et Jean-Pierre
Marcellesi, de Porto-Vecchio, qui, chacun de leur côté, métissent
leurs compositions d'influences sud-américaines ou cap-verdiennes.
Viennent
encore des ensembles, principalement polyphoniques, comme E Voce di u
Cumune / A Cumpagnia, Giramondu, Esse, Tavagna, Speranza, Di Maghju, Alte
Voce, Vaghjime etc.... ou encore le groupe éponyme de Benedettu
Sarocchi, qui outre ses talents vocaux, joue de la cialamella et de la
cetera dans son bel album Orìgine. De jeunes groupes naissent régulièrement,
témoignage de la vitalité du chant corse: U Fiatu Muntese,
Voce Isulane, L'Alba, I Messageri, Anghjula Potentini & Christophe
Baulenas... La relève est assurée.
Comment
? Pas de rock ? Détrompez vous, il y en a !
|
Dans
un autre registre, notons la naissance l'année passée, du
premier album de " L'Altru Latu ", un groupe originaire de la
Gravone que l'on peut clairement qualifier de Pop-Rock, constituant -
dans un style propre - un pendant sudiste des " Varans " de
Bastia. L'album est surprenant, tant par sa maturité pour un groupe
aussi jeune, que par l'originalité du mélange de la langue
corse et du rock, avec même des incursions Techno (dans deux morceaux
remixés ).
Un
texte de Stéphane LEANDRI avec intertitres de A TECHJA
!
|
" Polyphonies Corses " de Philippe-Jean Catinchi, Cité
de la Musique / Actes Sud
" Cantu Corsu " de Ghjermana de
Zerbi et François Diani, Ed. Cyrnos et Méditerran
-
Jean-Paul Poletti et le Choeur d'hommes de Sartène: "
Fiori di memoria ".
- Canta U Populu Corsu: " Ci hè dinù
", " Rinvivisce ".
- E Voce di Corsica : " Polyphonies ".
- I Chjami Aghjalesi: " Populu vivu ".
- Petru Guelfucci: " Corsica ".
- I Muvrini: " Curagiu ".
- Antoine Ciosi: " Corsica Nostra ".
- Diana di l'Alba: " Pueta ".
- I Surghjenti : " Ramenti ". -
Cinqui Sò: " Tarraniu ".
- A Filetta : " Intantu ". - L'Altru
Latu : " Cattivu Sognu ".
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