En
1995, votre webumaestru ( qui ne l'était pas encore, qui n'avait
jamais touché un ordinateur, mais qui était déjà
porté sur les manifestations culturelles et insolites de l'île...),
entreprit une promenade digestive dans la vallée de La Restonica
sans penser un seul instant qu'elle se transformerait en périple
digne des Aventuriers du concert perdu.
Le but était d'aller assister à un concert de Jean-Paul
Poletti dans un lieu inhabituel, à savoir le fameux lac de Melo
situé non loin de Corte, au bout de la Vallée de La Restonica,
cul-de-sac où l'on gare sa voiture et où il faut continuer
à pieds pendant soixantes longues minutes, marcher sur des cailloux
pointus, escalader des rochers en s'aidant de chaînes, éviter
de recevoir un randonneur sur la tête ou de se faire piétiner
par une colonie de vacances en folie.
La première erreur fut de partir à l'heure où tout
bon insulaire fait sa sieste. Arrivés à Corte après
une heure de voiture chauffée à 45 degrés, nous
eûmes la joie de constater que les gendarmes avaient coupé
l'accès à la Vallée pour éviter les embouteillages
et nous invitaient à utiliser les navettes mises à la
disposition du public. Initiative louable et logique, me direz-vous.
Hélas, si nous avions suivi les conseils de la Maréchaussée,
nous aurions atteint notre destination le lendemain ! Alors, nous décidâmes
d'y aller à pieds, abandonnant nos véhicules sans les
achever.
Deux bonnes heures plus tard, nous étions autour du lac à
moitié carbonisés par le soleil. Personne n'avait abandonné,
mais on en était à trois coups de soleil, deux divorces,
une déshydratation, cinquantes ampoules et dix débuts
de surdité causés par le vacarme des hélicoptères
qui transportaient le matériel nécessaire au concert .
Après une courte pause sous l'ombre des maigres buissons du plateau,
il nous fallut affronter l'attaque de deux ou trois cochons sauvages
bien décidés à nous subtiliser nos sacs à
casse-croûte, essayer de nous faufiler à travers la foule
de mélomanes avertis qui devaient être là depuis
l'aube pensant qu'il s'agissait d'un concert des Rolling Stones... Peine
perdue, il était impossible de s'approcher à moins de
cent mètres. Pire encore, l'acoustique n'était pas des
plus idéale en un tel lieu. On avait privilégié
le cadre majestueux et la future retransmission du concert sur FR3 Corse
.
Il était dommage de rester sur cette mauvaise impression. Heureusement
l'été 2 000 arriva, nous apportant une bonne nouvelle.
Le CD de Cantata Corsica était dans les bacs des disquaires.
Enfin, il serait possible d'apprécier l'oeuvre dans des conditions
satisfaisantes.
Cette cantata se décline en trois parties et s'étire sur
plus de cinquante minutes, une longue durée qui vous paraîtra
bien courte. En effet, la musique et les chants vous agripperont dès
la première écoute pour ne plus vous lacher. Ce disque
n'est pas ennuyeux. Ce disque est fait pour être chanté
par tout le monde dans son bain ou sur la route caillouteuse. Evidemment,
il sera difficile de faire aussi fort que Poletti ou les autres chanteurs,
à savoir Jacky Micaelli, Mya Fracassini, Cyrille Lovighi ou Jacques
Culioli - retenez bien les deux derniers noms, ils ont déjà
une certaine notoriété dans l'île, mais on ne devrait
pas tarder à entendre parler de futures " valeurs sûres
" - mais vous vous surprendrez à fredonner des passages
du disque sans en avoir l'air. C'était l'un des buts de Poletti
que son oeuvre soit accessible à tous tout en étant ambitieuse
et empreinte d'une certaine mélancolie puisqu'elle fut composée
pendant la période où les nationalistes s'entretuaient.
Pour la partie technique, je ne prendrai pas la peine de recopier les
notes du livret qui vous donnera toutes les précisions sur l'art
de la Cantata qui n'est ni une polyphonie, ni un opéra et qui
lorgne du côté de l'Italie où Poletti fit ses études
musicales.
Sacré Poletti, on ne répètera jamais assez qu'il
est l'un des plus grands du chant et de la musique corses. Qu'il a touché
à tous les genres avec talent et succès. Qui se souvient
de ses disques ( jamais sortis en CD ) où l'on trouvait des tangos,
des bossas et des airs dignes de Bob Dylan ?
Il ne nous reste plus qu'à attendre son véritable opéra
" Rè di petra " qui traitera du fameux roi de Corse
" Théodore de Neuhoff " qui a régné sur
l'île de mars à novembre 1736,
sans oublier de remercier l'artiste de nous permettre d'écouter
la cantata tranquillement assis dans notre voiture climatisée
en regardant la montagne à travers le pare-brise.
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