"
- Hé ! Ho ! Pars ! Tu es libre !
- Après la sieste !
- Comment après la sieste ?
- Il est tard, Romain. Et si je ne fais pas la sieste maintenant,
je n'aurai pas le temps de la faire avant de dormir. Alors, tu me
laisses tranquille, ou je m'énerve. " Astérix
en Corse
Le
dialogue écrit par Goscinny pour son album " Astérix
en Corse" nous a toujours fait hurler de rire. Cela pourra
paraître contradictoire, mais c'est plus fort que nous. Tout
est dans la manière de le dire et tout est dans l'interprétation
du message lancé par le scénariste de l'album. On
pourrait y trouver par exemple le refus d'une autorité non
reconnue par l'autochtone ou un certain sens pratique partagé
par grand nombre d'insulaires. Ce qui me semble être deux
qualités plutôt que deux défauts dégradants.
La sieste d'un Corse a de tous temps fait l'objet de railleries,
de ricanements ou de prétexte bien pratique pour mettre au
banc de la Nation toute une communauté en la traitant de
fainéante. On pourrait se consoler en pensant aux Mexicains
tout aussi mal lottis, mais est-ce bien suffisant ? De nos jours,
il n'est toujours pas possible de réfléchir tranquillement
dans notre coin sans qu'on nous demande si nous ne sommes pas en
train de faire notre sieste.
L'ORIGINE
DE LA SIESTE EN CORSE |
Faire
la sieste n'a rien de répréhensible, au contraire.
C'est même recommandé et par des gens bien plus qualifiés
que nous. Le problème est que tant que ces spécialistes
n'auront pas obtenu le label " VU A LA TV ", le gros des
troupes restera sceptique. Tentons donc de rendre à cette
activité les valeurs ajoutées qu'elle peut procurer.
Les anciens comme nos parents ou nos grands-parents qui se levaient
à quatre heures du matin
( Pas vraiment de bonne humeur, il faut le reconnaître ! )
pour aller en montagne en savent quelque chose. Ils n'avaient pas
le temps d'en redescendre qu'il fallait en grimper une autre pour
nourrir les cochons ou aller prendre des légumes au jardin.
Quand vers dix heures du matin, ils étaient prêts à
s'attabler devant un casse-croûte et un verre de rosé,
il fallait souvent se relever ( Toujours pas de bonne humeur ! )
pour s'occuper d'une bête en vadrouille ou aller chercher
un âne afin de récupérer la bête en vadrouille.
Vers treize heures, ils avaient déjà dans les pattes
une bonne vingtaine de kilomètres et une journée de
neuf heures dans leur horloge intérieure. La feuille de coca
des Péruviens ou des Colombiens n'étant pas prisée
dans nos contrées, il fallait bien trouver un moyen simple
de récupérer un
peu ( Dans la bonne humeur
! ) avant de s'y remettre lorsque le soleil serait moins brûlant
et la chaleur moins suffocante.
C'est ici qu'intervient la sieste réparatrice qui permettra
d'affronter ( Un peu moins de mauvaise humeur ! ) le programme de
la fin de l'après-midi à peu de choses près
identique à celui du matin. Tout serait simple et l'on pourrait
arrêter là la démonstration si, sur ces entrefaits,
le visiteur étranger n'avait pas la mauvaise idée
de se pointer juste au moment où il ne rencontrera âme
qui vive dans les ruelles ou sur la place. Si par malheur, ce visiteur
est un haut fonctionnaire ou un cadre supérieur, le fait
sera rapporté en haute instance et la sentence implacable.
" Tous ces gens sont en train de dormir alors qu'ils devraient
être en train de travailler ! " . S'il s'agit d'un touriste
nouveau genre, ce sera : " Tous ces gens sont en train de dormir
alors qu'ils devraient être en train de faire des randonnées
en montagne, de visiter les ruines d'une chapelle romane à
2 500 mètres d'altitude ou de visiter la vieille ville de
Bastia ! " Alors les anciens ricanent discrètement parce
que le travail a été fait, parce que la randonnée,
ils s'en sont avalées deux pour le prix d'une, parce que
les vieilles pierres, ils les ont replacées sur un mur qui
s'effondrait et enfin parce que les ruelles typiques de Bastia,
ils les ont vues depuis belle lurette, mais surtout pas en plein
cagnard...
LA
" NOUVELLE " SIESTE CORSE |
Le
lecteur avisé au sens critique développé me
fera savoir que cette défense de la sieste s'intéresse
à une époque révolue et que , de nos jours,
les jardins sont en friche ou que les travaux des champs n'existent
plus qu'au Musée de la Corse. Certes... Mais nous répondrons
sans hésiter que la chaleur est toujours présente,
que les travaux de nuit sont bien réels pour une partie (
jeune ) de la population, qu'il y a des tas de gens qui se lèvent
très tôt en raison de leur profession et enfin que,
contrairement à ce que les gens en disent, le stress n'a
pas évité la Corse dans sa course effrénée
autour de la planète .
Une des causes de ce stress corse tient d'ailleurs essentiellement
dans le fait que les visiteurs se comptent désormais par
millions en été. Si nos calculs sont bons, nous avons
des millions de possibilités supplémentaires pour
que ceux-ci nous traitent de fainéants. Rien que d'y penser,
les insulaires souffrent régulièrement d'insomnies
et se retrouvent dans l'obligation de s'adonner à la sieste
pour atténuer les effets de ces " nouvelles " nuits
blanches. Notons enfin que l'insomnie dite "touristique "
disparaît naturellemnt à la fin de l'été
lorsque les insulaires réalisent qu'ils ont des millions
de chances pour que les avis négatifs émis à
l'arrivée se révèlent positifs en fin de séjour.
N'oublions pas que les coups de soleil et les insolations se traitent
bien mieux dans la pénombre fraîche d'une chambre aux
murs épais comme les anciens en construisaient autrefois,
malins qu'ils étaient. C'est au pied du mur, allongé
dans son lit les bras croisés sous la nuque que l'on voit
le siesteur, Corse ou pas !
Si
d'aventure, le lecteur avisé au sens critique développé
pensait que les lignes placées ci-dessus entre la nouvelle
sieste corse et ce qui se passe ailleurs ne sauraient justifier
une telle pratique, je l'inviterais alors à quitter notre
belle île pour aller voir ce qui se fait ailleurs sur la Terre.
Plus précisément en Chine et au Japon, pays où
les Corses ne sont pas vraiment légion, où les 39
heures n'existent pas à notre connaissance, de même
que la R.T.T. ou la 5ème semaine de congé payé.
Et pourtant, la sieste ( xiu xi ) est inscrite dans la Constitution
de la Chine et de nombreuses entreprises japonaises ont aménagé
dans leurs locaux des espaces destinés à la sieste
plus ou moins forcée de leurs employés. Oui, vous
avez bien lu : sieste obligatoire au pays du soleil levant ! S'il
s'agit ici en quelque sorte du bien-être de leurs travailleurs,
n'applaudissons pas trop vite. Il s'agit principalement de sécurité
et de
productivité.
Grand nombre d'accidents graves sont souvent dûs à
la somnolence engendrée par le stress, le surmenage et l'insomnie
chronique. Il est en de même pour l'efficacité et la
production du travailleur qu'il soit ouvrier ou cadre supérieur.
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